Le sens de la vie (rien que cela)

January 16, 2023


Si vous avez lu Le guide du voyageur galactique dans votre folle jeunesse, vous vous souvenez peut-être que Douglas Adams y dévoile LA Réponse définitive au sens de la Vie, de l'Univers et du Tout.
 
Mais si, voyons ! Une telle révélation, vous n'avez pas pu l'oublier ... Souvenez-vous. ...
 
La réponse absolue, l'essence même de la Vie, de l'Univers et du Tout, c'est : 42.
 
Cela vous revient ? 😄 Il vous revient sans doute, du même coup, la raison pour laquelle votre mémoire avait chassé ce "détail" de l'histoire de votre esprit. Car s'il est évident pour le lecteur, au moment où il découvre ce passage, que 42 est non seulement une réponse plausible, mais très certainement LA réponse ultime, il nous apparait dans le même temps que nous ne pouvons rien en faire. 42 ne nourrira jamais notre vie, car nous ne comprenons pas 42. Pour que 42 soit une révélation, il faudrait que nous soyons autre chose qu'un être humain - pauvre humain trop humain, avec notre capacité si limitée à percevoir la Vie, l'Univers, le Tout.
 
 
Bien sûr, 42 est une énorme blague, délivrée par un roman satirique qui nous explique, avec un humour mordant, qu'il a fallu 7,5 millions d'années au plus puissant des ordinateurs jamais construit pour calculer cette réponse. Mais Le Guide du voyageur galactique n'est pas un livre-culte par hasard, et derrière cette farce, il y a la critique d'une pensée dominante : l'idée que les êtres humains sont d’éternels "enfants" (comprenez : "en cours de développement"), et qu'il leur faut des décennies de souffrance, d'effort et de recherche pour que le sens de leur vie émerge enfin. C'est l'hypothèse sous-tendue par le modèle d'éducation "classique", conçu et dirigé par les adultes, qui valorise les réponses (l'écrasant 42 !) par rapport au questionnement.

Je ne sais pas pourquoi, mais chaque livre que je lis (fut-il un roman de SF satirique) me ramène à la problématique de l'éducation. 😄 Elle est nodale, cette problématique, elle est présente dans toutes choses !


Les réponses toutes faites (42 !) sont certainement vraies. Certainement. Elles n'en sont pas moins inutiles.

Car le sens de la vie n'est pas une conclusion, c'est un processus. Le sens de la vie est partout où la vie s'incarne, dans un être d'un jour, d'une semaine, ou de cinquante balais. 😊
 
Dans un monde où nous pensons que le sens de la vie est une réponse calculable par ordinateur, la relation devient inutile. Ainsi, nous créons des écoles dans lesquelles nous réprimandons les enfants qui jouent et qui parlent avec leurs amis en dehors des moments spécifiques où nous avons décidé que cela est permis. Dans la famille, l'enfant n'est pas considéré en fonction de ses contributions à la communauté, mais comme un individu isolé soumis à une hiérarchie rigoureuse. Dans tous les domaines de la vie, les interactions sont régies par des règles que personne n'a choisies et que nul n'interroge.

À l'inverse, si nous sommes capable de faire fi de 42, de sentir la vacuité de cette réponse, nous devenons libres de rêver, de poser nos propres questions et d'y répondre, de nous fixer des objectifs pour nous-même en tant que membre d'une communauté humaine plus large. 
 
 
Notre plus grande responsabilité  en tant qu'éducateur, c'est d'aider les enfants qui nous entourent, non pas à construire, en vue d'un avenir lointain, une vie dotée de sens ("Travaille, et tu auras un bon métier !") - mais de leur permettre de déployer leur liberté maintenant, et de vivre de manière significative ... maintenant.

Au fil des années, ma fille m'a appris quelque chose de fondamental. Chaque soir, lorsque je lui demande de me parler de sa journée d'école, elle me raconte ... sa récréation. Les moments les plus significatifs pour elle ne sont pas les interactions guidées, savamment orchestrées, qui se déroulent en classe, mais celles qui ont lieu dans le cadre du jeu libre. C'est un contexte communautaire authentique, le seul qui soit suffisamment riche de sens pour nourrir son "histoire", le seul qui soit "racontable". En me décrivant les jeux et les "embrouilles" (sic) de la cour de récré, je sens qu'elle comprend qui elle est, et comment elle s'intègre dans le monde. En récréation, sa vie est significative, car tous, autour d'elle, mènent une vie significative.

Une belle leçon d'humilité pour moi, enseignante, qui m'échine à préparer des cours "aux petits oignons" et oublie souvent que l'essentiel de la journée de mes élèves n'est pas là ! 😄
 

Cette cour de récréation n'est pas un monde parfait, loin s'en faut. J'imagine cependant que c'est le monde dans lequel nous aspirons tous à vivre, un monde dans lequel mon objectif et le vôtre ne se contentent pas de coexister, mais fusionnent en un seul récit d'appartenance. Cette narration collective est l’œuvre de l'humanité - c'est d'ailleurs la seule chose que nous sachions faire, la seule chose que nous ayons jamais fait et que nous ne ferons jamais. Et nous n'avons jamais attendu, pour le faire, qu'un ordinateur nous édicte ses conclusions.
 
Hélas, si nous pensons - et je crois que c'est souvent le cas dans les sociétés humaines - que le sens de la vie est une quête dont la réponse se mérite et qui nous sera dictée de l'extérieur, alors, nous imposerons des histoires à nos enfants qu'ils ne pourront pas élaborer eux-mêmes, nous les étiquèterons, nous les jugerons, et nous leur ferons honte quand leur histoire à eux ne cadrera pas aux récits éprouvés et prédéterminés. 
 

Le sens de la vie n'est pas un Graal qui tombera du ciel un jour futur. C'est ce qui est en train de se produire ici et maintenant - dans notre cour de récré à nous. Le sens de la vie est immanent, il n'est pas au bout du chemin puisqu'il est la vie même. On peut toujours s'amuser à enfermer l'essence de la Vie dans une formule (42 !), mais la vie, en vrai, c'est tout simple : c'est une création de chaque instant. Et si on laisse les petits d'Hommes faire ce qu'ils ont à faire, ils le font très bien. Ils jouent, ils interagissent, en bref :  ils donnent du sens à leur vie.
 

L'article du jour est né d'une vaine tentative de vous formuler des vœux authentiques pour 2023. J'imagine que c'est raté - mais puisque nous sommes ici pour bavarder et que j'ai ouvert cet article sur une de mes lectures, en voici d'autres. En ce moment, je lis Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre, Gallica de Henri Loevenbruck et j'ai sur ma PAL le très beau Blackwater dont vous m'avez beaucoup parlé. Je retrouve la question de l'éducation au détour de chaque page - on ne me refera pas. 😉 Quoi qu'il en soit, les commentaires vous sont ouverts si vous souhaitez échanger sur un de ces livres - que vous les ayez lus ou que vous ayez envie de le faire. Je serai ravie de papoter avec vous à leur sujet, et on n'est pas obligé de parler d'éducation, hein !
 

Je vous souhaite, ainsi qu'à votre petite famille, une année riche de sens - soit 32 millions de secondes, et plus encore, de raison d'être. Dans mon coin, je vais continuer à tisser mon petit fil de vie minute après minute, dans un processus de création toute simple, qui seule, lui donne du sens. Ce n'est pas si facile qu'il n'y parait, car je suis comme tout le monde : parfois, la beauté métallique de 42 me séduit et je perd le sel de ma vie. J'espère avoir assez de lucidité pour le reconnaitre quand il se dressera devant moi, lui faire un pied de nez, et retourner à ce qui m'amuse et me nourrit !

Prenez soin de vous !

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5 comments

  1. Anonymous15:18

    Waouh !

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  2. Anonymous14:09

    Waouh! Waouh! waouh !
    J'adore tout ce que vous partagez et écrivez !
    Merci pour toute la vie!

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    1. Oh merci, c'est trop adorable à vous d'adhérer à mes délires ! :-D

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  3. Anonymous18:07

    Merci beaucoup pour ces mots... Ici on n'a choisit l'instruction en famille (malgré ma condition de prof ;-), ca nous aide, à moins perdre notre fil... Merci beaucoup pour ces mots qui résonnent, et qui font une petite piqûre de rappel, toujours nécessaire, dans notre société... Belle année 2023, à toi...

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