Râler, c'est résister au réel

January 15, 2021

Cet article fait partie d'une série 
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L'idée que je voudrais partager avec vous aujourd'hui est un peu particulière. Vous ne la trouverez pas chez Christine Lewicki, pour la simple et bonne raison qu'elle est issue de mon propre cheminement. Un cheminement bien plus large que notre réflexion sur la râlerie, d'ailleurs, mais qui m'aide dans tous les domaines de mon quotidien - y compris quand il s'agit d'arrêter de râler. 😊

Je vous préviens : la pensée du jour n'est pas facile à exprimer pour moi, et elle ne sera certainement pas facile à saisir pour vous ! Il s'agit de "retourner" son esprit comme un gant, de changer de perspective, et je comprendrais très bien que vous ne voyiez pas de quel point de vue je me place ... Je vais essayer néanmoins de m'exprimer clairement ! 😅
 
Si je râle contre quelqu'un, ce n'est pas parce qu'il a fait quelque chose de "mal". C'est parce qu'à ce moment, je voudrais qu'il soit différent

On peut inverser la situation afin de mieux la comprendre : si quelqu'un de mon entourage (un collègue, par exemple) ne m'aime pas, ce n'est pas parce que je suis "mauvaise", mais parce qu'il voudrait que je sois autre. C'est le filtre qu'il pose sur son monde qui génère sa propre souffrance - car en un sens, il souffre que je sois ce que je suis ! 😅

De même, ma propre impatience ou exaspération reflète mon attachement à ce que l'autre se conduise différemment. C'est particulièrement éprouvant dans la vie parentale, car il est dans l'essence de l'enfant de ne pas "coller" au comportement qu'on attend de lui. Dans ce contexte, mes propres attentes ne seront jamais satisfaites, elles ne peuvent l'être - et ce sont mes propres attentes qui créent mon tumulte intérieur, et non les actes ou les paroles des autres qui sont, en soi, ni "bonnes ni "mauvaises", mais qui sont, tout simplement.
 
Dans ma relation à mes proches, c'est moi qui génère ma propre souffrance, parce que je forge des attentes ("J'aimerai que mon enfant soit bon élève ...") et des croyances ("Dans la vie, il faut être responsable ..."). 

Quand j'éprouve de l'exaspération, de la contrariété, de la colère ou de la peine, c'est le signal que je souhaite qu'une chose soit différente de ce qu'elle est. À ce moment précis, je résiste à "ce qui est" ! En identifiant ce à quoi je suis "attachée" (comme on dit ! 😶), je remets mes valeurs à leur juste place : ce sont des valeurs, rien de plus ! Il n'y a rien ici qui me caractérise en propre, et rien qui soit assez puissant pour m'atteindre et me faire souffrir.

Le jour où j'ai compris que je générais ma propre souffrance à travers mes attachements fut le plus grand moment d'éveil de mon existence, sans blague ! 😂

J'ai bien conscience que c'est une idée totalement incompréhensible tant que ne l'a pas élaborée de l'intérieur, et j'ai l'habitude de me heurter à des objections ! N'hésitez pas à vous lâcher en commentaires !! 😄
 
Je précise néanmoins qu'il ne s’agit pas, ce disant, de dédouaner qui que ce soit (ni le râleur, ni la personne qui le fait râler) de la responsabilité de ses actes. Je ne suis pas en train de dire que nous devons sourire et approuver en voyant un de nos enfants frapper l'autre, par exemple !
 
- D'abord parce que rien ne m'empêchera de me sentir ... blessée si quelqu'un ne respecte pas mon travail ... furieuse si j'assiste à un acte de violence ... triste si je subis une moquerie, etc. "Les poissons nagent, les oiseaux volent, et l'homme ressent", dit Haim Ginott. On ne pourra jamais nous empêcher de ressentir et là n'est pas le propos !

- Ensuite parce qu'il est dans dans notre condition humaine de modifier le monde par nos actes. Oui, nous donnons un cadre disciplinaire à nos enfants, oui, nous refusons la violence ordinaire sur notre lieu de travail, et oui, nous œuvrons dans la mesure de nos petits moyens pour un monde plus juste. Il ne s'agit pas de dire que rien n'a d'importance et qu'il ne nous reste qu'à croiser les bras.
 
L'idée principale est qu’il est possible d'interrompre mes réactions habituelles (râleries et compagnie) en prenant du recul et en constatant combien elles découlent de mes propres attachements. Je m'arrête un moment pour changer de mode. Ma gêne, mon irritation qui nait en réaction au comportement d'autrui, vient d'une assertion cristallisée en moi ("On est gentil dans la famille.") qui se trouve contrariée face à un fait objectif ("Un de mes enfants est en train de frapper l'autre."). Il y a une sorte de "bug" si vous voulez, une distorsion : le réel contredit une de mes croyances profondes et c'est tellement insupportable que je pars en vrille.
 
Que faire ? 
 
Changer le réel, ou prendre du recul sur mes attentes ? 

Changer le réel est impossible. Ce qui est, est. Même si c'est extrêmement désagréable.

Prendre du recul sur mes attentes, par contre, est en mon pouvoir. Si je m'arrête, face à un sentiment négatif, pour me demander : « Quelle est cette exigence EN MOI qui ME contrarie tant ? », je me réapproprie complètement ce qui se passe. Tout se joue en moi, dehors il n'y a rien - rien que ce qui est. Plus de coupable, plus de "méchant". Je deviens spectatrice du scénario de ma vie. Je réaffirme mes attentes sans m'y identifier : "Je me sens très mal car il y a en moi l'idée que nous devrions nous respecter les uns les autres." L'existence et ses faits fluctuants cessent de me définir ; j'appréhende ma vie comme une suite d'évènements à mettre en relation avec mes besoins ou mes convictions de l'instant. Parfois, il y a adéquation, parfois non. Rien qui mérite de générer des sentiments négatifs. Rien qui ne puisse entamer mon bonheur, car je ne dépends de personne pour me sentir bien ou mal. 
 
Le sentiment négatif se trouve "traité", en quelque sorte. Je peux alors agir (ou pas, en fonction de la situation), et passer à autre chose.

Dites-moi si je me fais comprendre ? 😅
 

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8 comments

  1. Anonymous22:39

    Merci Elsa pour le partage de toutes ces réflexions et de votre cheminement !
    A la lecture de certains passages de l'article, c'est comme si quelque chose se détendait en moi! Beaucoup de chose que je "sais" mais que j'ai du mal à intégrer... Valérie

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  2. Anonymous23:18

    Bonjour
    Tout à fait ... Qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, mon état intérieur doit rester positif et surtout je pense que j'aime m'adapter au changement pour ne pas en être dépendante.

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  3. Anonymous23:19

    Bonjour Elsa,
    C'est un sujet qui me tient à cœur car râler est contagieux. Mon fils de 3 ans râle toujours et son petit frère de 18 mois l'imite.
    Je pense que râler est, du moins que l'on puisse dire, naturel.
    À nous de transformer ces plaintes en demandes.
    Car râler est vraiment désagréable pour soi et pour notre entourage.
    Apprendre à dire :"montre moi ton magnifique sourire, tu es si beau lorsque tu souris", même si on a envie de dire :"arrête de hurler je vais bientôt devenir sourde à cause de ton cri strident".
    Nous pouvons continuer de réclamer sans râler pour ne pas ruminer à tort et à travers. Car râler peut provenir soit d'une extrême exigence vis-à-vis de soi et de son entourage, soit une mauvaise habitude à bannir...
    J'espère ne pas avoir dévié du sujet...

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  4. C'est parfaitement clair ! Cela me renvoie à ma découverte du livre de Marshall B. Rosenberg Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) où il est notamment démontré à quel point c'est NOUS qui sommes à l'origine de ce que nous ressentons et non l'autre. Par contre qu'est-ce qu'il est difficile de changer de point de vue au quotidien !

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  5. Il existe toute une école de pensée aux États-Unis selon laquelle les circonstances de vie sont neutres, et que ce sont en fin de compte les pensées que nous avons à propos de ces circonstances qui est à l'origine des émotions que nous ressentons (ce qui explique notamment pourquoi deux personnes peuvent réagir de manière diamétralement opposées à une même situation). C'est intéressant comme point de vue mais cela à mon sens le défaut fondamental de faire peser sur les individus la responsabilité de tout ce qui se passe et donc de faire abstraction du collectif et de la responsabilité sociétale. Je me demande si ce n'est pas aussi un des postulats de la PNL mais je ne connais pas bien ce courant.

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  6. "Dans ce contexte, mes propres attentes ne seront jamais satisfaites, elles ne peuvent l'être - et ce sont mes propres attentes qui créent mon tumulte intérieur"
    "le réel contredit une de mes croyances profondes et c'est tellement insupportable que je pars en vrille"
    Ton article me parle énormément car c'est ma réflexion du moment (et depuis un moment)...
    Je viens de comprendre il y a quelques jours que, quand je pars en vrille, c'est qu'il y a une frustration en moi: La situation qui me fait râler n'est pas celle que je souhaiterais et, du coup, ça me met dans une SITUATION D'ECHEC... et finalement je crois que, inconsciemment, c'est ça que je ne supporte pas. (Tout ça, lié, bien sûr à ma propre enfance, puisque petite je me sentais nulle, incapable de réussir, en échec permanent.. aujourd'hui c'est un combat pour moi, ou comment peut-il être légitime que j'ai un boulot qui marche, qui me plaît, et où je réussis... le truc pas normal quoi... Bah je crois que, par exemple, quand mes filles me font râler, c'est inconsciemment moi qui ne réussis pas ce que je projetais pour elle)...
    Moi non plus je suis pas sûre d'être claire, mais ton article résonne en moi...
    Au fait, j'ai commencé hier "j'arrête de râler"! ;-)
    Des bisous chez vous! et bisous à tes loulous d'Anja et Ama! :-)

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  7. crapouille15:03

    Oui bien sûr, les raleurs et les raleuses sont empêtré.es dans un mélange d'idéalisme et de rigidité, qui les empêchent de s'ouvrir au monde tel qu'il est, et qui toute la journée s'imposent la violence de mesurer l'écart entre le monde tel qu'il est et le monde tel qu'il devrait être. C'est mon cas !

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  8. Anonymous17:41

    Bonjour Elsa, merci pour votre article qui éveille en moi des réflexions très intéressantes! Il faut dire que la "résistance", "ne pas accepter ce qui est", c'est un peu mon sujet de prédilection ou en tout cas de travail sur moi-même! J'aime beaucoup cette idée que "râler c'est résister au réel" et il y a vraiment qqch en moi qui se détend en lisant votre article. Par contre, tout comme les émotions qui nous traversent, je ne pense plus que ce soit un problème d'éprouver de la râlerie si je puis dire ainsi comme on éprouve de la tristesse ou de la colère, c'est surtout un message qui est à prendre en compte comme vous l'expliquer très justement dans votre article. Pour moi, râler sur le coup c'est une information à décortiquer et non un problème, ça devient un problème lorsqu'on rumine nos râleries, je ne sais pas si je suis claire dans mes propos ;-) Je pense aussi que lorsqu'on parle de responsabilité, il y a énormément de confusion. Ici il est question de prendre la responsabilité de ses émotions, qui nous appartiennent et non la responsabilité des actions ou des émotions des autres. Ainsi, si je vois mes marqueurs préférés débouchés et éparpillés au sol, ma colère (je ne me sens pas respectée lorsque mes affaires ne sont pas remis à leur place) ou ma tristesse (je suis triste de me sentir si peu considérée quand je vois mes marqueurs au sol) m'appartiennent et je n'ai pas à les "lancer" aux autres par contre, les marqueurs éparpillés sont de la responsabilité de qqun qui peut agir dessus à ma demande. De nouveau, je n'arrive pas à savoir si je suis assez explicite pour décrire ma pensée. En tout cas, je vous remercie pour cette série d'articles sur le défi "j'arrête de râler" qui me passionne et me font réfléchir! Jessica.

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