Ode à la farine

October 20, 2021


Le livre de cuisine que je n'écrirai jamais s'ouvrirait sur un chapitre dédié à la farine.
 
Oui, oui. La farine. 😊

Je sais bien  : ce n'est certes pas l'ingrédient le plus glamour de notre cuisine. Parcourez d'ailleurs n'importe quel livre de cuisine, et constatez l'incroyable injustice dont il est victime ! Vous trouverez la farine dans tous les chapitres - même dans les soupes et les sauces. Mais ... !!! Elle n'est jamais référencée dans l'index des ingrédients ! Elle est pourtant la clef  de tant et tant de nos plats préférés - pain, pâtes, pizza, sans oublier la plupart des gâteaux et des biscuits, sucrés ou salés. Pauvre farine, héroïne mal aimée de notre placard ...
 
J'estime qu'il serait temps de réparer ce tort. 😊


Bien sûr, j'entends vos objections : l'intolérance au gluten gagne du terrain chaque jour. Le nombre croissant de cœliaques est-il une réponse à l'excès de consommation quotidienne de blé de qualité transformée ? Tout laisse à le penser, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. À lui seul, le blé contient plus de protéines que toute autre plante. Riche en calcium, en phosphore, en magnésium et en vitamines, il est le fruit d'une histoire d'amour qui a commencé il y a 500 000 ans ...
 
D'ailleurs, pour le premier chapitre du Livre de cuisine que je n'écrirai jamais, j'ai un titre. Un titre essentiel, à défaut d'être poétique. Je l’appellerai : Qu'est-ce que la farine ? 😏

Bonne nouvelle pour les allergiques : la farine n'est pas nécessairement "de blé". D'ailleurs, en y songeant mieux, la farine n'est pas un ingrédient, c'est le terme générique d'une famille d'ingrédients - et son nom désigne un processus qu'ils ont tous subi. D'où sa noblesse ! Une farine, c'est une fine poudre qui provient d'un grain (amarante, épeautre ...), d'une graine (lin, millet, sésame, tournesol ...), d'une fève, ou d'une noix. Il existe même des farines de pommes de terre ou de noisettes
 
Pourquoi la farine est-elle un ingrédient capital ? Tout simplement parce qu'elle permet de réaliser une multitude d'actions. Emmiettez-la dans du beurre et voilà une pâte croustillante pour recouvrir les fruits compotés d'un crumble. Cuisez-la avec du beurre et du lait, pour obtenir une sauce veloutée. Pétrissez-la avec des œufs et vous obtiendrez de tendres bandelettes de pâtes alimentaires. Mélangée pour moitié avec du lait, la voilà crêpes ou pancakes. Laissez-la gonfler avec de l'eau et du levain, voici un merveilleux pain doré et croustillant.
 
Dans les montagnes où vit ma petite famille, il n'y a pas de champs de blé. C'est une bizarrerie pour moi qui ait grandi entre la Bourgogne et le Bassin parisien !! D'ailleurs, Le livre de cuisine que je n'écrirai jamais ne s'ouvrirait pas en cuisine, mais là, au beau milieu des hautes tiges herbeuses qui mûrissent dans les champs dorés de l'été. Sa première page serait consacrée au croquis légendé d'une de ces tiges mythiques, et illustrerait distinctement la "tête", gracieuse grappe de grains serrées, dont chacun est une graine qui peut donner naissance à une nouvelle plante.
 
Le livre de cuisine que je n'écrirai jamais ne commencerait pas par des recettes, mais par des sorties ! 😄
 
Le chapitre 1 proposerait d'observer le travail des moissonneuse- batteuses.
 

Je me souviens de la fascination qu'exerçaient sur moi, enfant, ces énormes moiz'bat', comme nous les appelions familièrement - et elles nous étaient familières, malgré leur étrangeté !  Nous guettions leur sorties, entre juillet et septembre, comme des fêtes, et nous explosions de joie lorsque notre voiture se retrouvait derrière l'une d'elle, sur un tronçon de route de campagne, contrainte de rouler au pas entre deux champs. Joie ! Ces machines magiques coupent l'épi et la tige, séparent le grain de l'enveloppe d'un coup de griffe, déversent la graine dans une grande remorque grâce à un merveilleux tapis roulant, et vomissent les tiges au sol, dans un nuage de poussière soufflé à l'arrière ... Joie, joie, joie ! Ne dirait-on pas qu'un monstrueux insecte s'abat voracement sur le champ ?? ...
 
Si vous avez la chance d'habiter une région céréalière, votre enfant connait, j'en suis sûre, ce délicieux spectacle !

Le chapitre 2 conseillerait de glaner quelques épis et d'en écraser les grains.
 

 
Ecrasons-les finement entre deux pierres trouvées sur le chemin. Voici de la farine complète, un mélange de fibres (l'enveloppe de son), de germes (l'embryon minuscule, la partie intérieure du grain contenant des micronutriments) et d'endosperme (le cœur farineux, qui constitue la réserve de nourriture de la graine).
 
La farine obtenue sera trop grossière pour être utilisée en cuisine, mais rien n'empêche d'y goûter, du bout de la langue ... 😏
 
Le chapitre 3 nous emmènerait visiter un moulin traditionnel. 

 
Il existe encore des moulins à l'ancienne, qui broient le blé entre deux pierres tournantes. La farine produite est dite "complète", car elle contient à la fois le son et le germe, mais elle peut être tamisée pour obtenir de la farine blanche. La photo ci-dessus a été prise à Guedelon, dont le moulin hydraulique a été construit selon les techniques du XIIe siècle. Et il fonctionne très bien, nous l'avons vu faire !

Le chapitre 4 enchainerait sur la visite d'une minoterie moderne.

 
Notre moulin "local" (pas si local que cela, d'ailleurs, puisqu'il n'y a pas de blé chez nous, mais tout est relatif en ce bas monde moderne) ressemble plutôt à cela 👆. C'est une vaste usine !, au sein de laquelle s'articulent plusieurs ateliers : réception du blé qui arrive en camion, contrôle de la qualité du grain, mélange et nettoyage ...  La graine est finalement cisaillée pour séparer le son de l'albumen (endosperme), puis tamisée plusieurs fois pour affiner la farine. La farine blanche obtenue est polyvalente en cuisine ; mais la farine complète, qui conserve les fibres du son, est riche en minéraux, et c'est avec elle qu'on réalise les meilleurs pains. Heureusement, les moulins modernes fabriquent aussi de la farine complète !

Ce n'est qu'au chapitre 5 que Le livre de cuisine que je n'écrirai jamais inviterait, enfin, à s'installer en cuisine.
 
Et pour quoi faire, à votre avis ?
 
Ben, de la farine pardi ! 😄

OK, ce n'est peut-être pas une recette à part entière. Ce n'est pas en faisant de la farine qu'on obtiendra de quoi manger ce midi.

Non, ce n'est pas une recette, c'est beaucoup mieux : c'est la condition de possibilité de toutes les recettes !! 🎉

Voilà des années que je louche sur ces merveilleux moulins à farine domestique, vous savez ? Bon, c'est un peu cher pour ma bourse, je craindrais de ne pas m'en servir assidûment, et surtout, je ne saurais pas où le ranger dans ma petite cuisine ... Jusqu'à présent, je n'ai pas craqué !! Mais alors : comment faire de la farine, sans moulin ?

C'est oublier que la farine est un processus, et n'est pas liée à une graine en particulier
 

Un projet familial : réaliser sa propre farine


Aujourd'hui, j'ai proposé aux enfants de réaliser de la farine ... de châtaignes !!
 
Cette année, notre récolte a été particulièrement abondante, et le fait de réaliser de la farine nous permet d'écouler un peu notre énorme stock !
 
Attention, une fois de plus, il ne s'agit pas véritablement d'une recette, mais bien d'un projet familial à part entière. Faire de la farine, c'est long - quoique simplissime. La préparation articule plusieurs actions, qui peuvent être réalisées sur plusieurs jours. Chacun est invité à mettre la main à la pâte !

Nous avons réalisé cette recette à l'aide d'un robot type "Thermomix" - le nôtre est un Miogo, que les enfants adorent utiliser.

Si vous n'en avez pas, sachez qu'il est possible d'utiliser un simple mixeur - c'est juste un peu plus long.

Farine de châtaignes, recette :


1. Comptez un kilo de châtaignes pour 500g de farine. Hop, à la pesée !
 

2. Épluchez les châtaignes ; il suffit d'enlever la première peau, épaisse et marron. On pose le fruit sur une planche, côté bombé vers le haut pour plus de stabilité. Une entaille au couteau-qui-coupe, et on passe à la graine suivante.
 

3. Lorsque toutes les châtaignes sont incisées, on détache l'écorce avec les doigts - ou à l'aide d'un couteau, qui n'a pas besoin d'être trop coupant pour cette opération. C'est facile et amusant ! 
 
L'enveloppe beige duveteuse qui recouvre l'amande est laissée sur le fruit.
 
Au passage, un peu de vocabulaire : votre enfant sait-il que les petits plumeaux qui surmontent chaque fruit sont appelés "torches" ? Trop mignon ...
 

4. Coupez chaque châtaigne épluchée en deux, et faites observer le germe à votre enfant : il est bien visible, lové au cœur de chaque fruit ! Parfois, on tombe sur un petit vers qui a fait son nid dans la chair farineuse, et c'est très amusant à examiner aussi ! (Il va sans dire que les châtaignes véreuses sont évincées de la recette, hop, on les donne aux poules !)

5. Au Thermomix, mixez vitesse 9 jusqu'à obtention d'une semoule grossière (Une minute suffit).

Cette opération peut être réalisée au mixer, mais elle prendra certainement plus de temps.
 
6. Étalez la mouture obtenue sur une plaque de four, et faites sécher 30 minutes au four à 100°C, chaleur tournante. 
 

7. Ôtez la plaque du four, attention, c'est chaud ! Remuez, brassez, pour mettre le dessus dessous (et vice versa).
 
8. C'est reparti pour 30 minutes de cuisson (100°C et chaleur tournante, toujours). 

9. Re-brassez ... et ré-enfournez. Réitérez l'opération jusqu'à ce que la semoule soit complètement sèche. Ici, 1h30 de cuisson ont été nécessaires.
 
10. Laissez refroidir dans le four fermé (toute la nuit, par exemple).

11. Mixez à nouveau : 2 ou 3 minutes, vitesse 9. La farine obtenue est aussi fine que celle du commerce, parole !!

 
(Si vous réalisez cette recette au simple mixeur, il faudra peut-être la tamiser pour ne garder que les morceaux plus gros et les mixer à nouveau)

Cette farine se conserve dans une boite hermétique au réfrigérateur quelques semaines mais si vous souhaitez la garder plus longtemps, congelez-la, tout simplement ! 😊

Et avec cette farine, que fait-on ?

 
Non, parce que je vous rassure : dans Le livre de cuisine que je n'écrirai jamais, il y aurait aussi des recettes !! Des tonnes de recettes ! 😄

Et pour cette farine très spéciale, 100% gratuite, remplie d'amour, de grand air, de fibres et de vitamines B, voici quelques idées en vrac : glissez-la dans vos muffins, vos cookies (avec des noisettes et des pépites de chocolat, yum !), vos cakes sucrés ou salés, vos pâtes à tarte, vos crêpes et vos blinis !

Pour apprécier le goût subtil de cette farine, évitez de la mélanger avec d'autres, mais utilisez-la pure. Essayez-la dans vos gâteaux au yaourt, avec de l'huile d'olive, qui fait ressortir son  parfum. Agrémentez l'appareil d'un zeste d'orange et d'une pincée de cardamome, vous m'en direz des nouvelles !  

Pour clore cet article, je vous propose un petit plat de saison, qui invitera les derniers rayons de soleil à votre table. Au programme : 

Falafels de châtaignes au persil  :

 

Ingrédients (pour 10 croquettes) :
 
- 40g de protéines de soja texturées (en magasin bio)
- 2 CS de sauce soja
- 100g de potimarron cuit
- 100g de farine de châtaignes maison
- 1 bouquet de persil plat
- 2 CS de graines de chia
- Un gros œuf (ici, 2 œufs de poules naines)

Dans un grand bol, mélanger 40g de protéines de soja texturées (magasin bio) avec 2 CS de sauce soja, puis couvrir d'eau bouillante. Laisser réhydrater 30 minutes. Égoutter et mixer grossièrement.

Pendant ce temps, laver, sécher et effeuiller le persil plat. Le hacher assez finement au mixer.

Égoutter les protéines de soja et les verser dans le mixeur avec le persil. Mixer 10 secondes. Verser le mélange dans une terrine.

Écraser 100g de potimarron cuit à la fourchette, et le mélanger avec les protéines de soja et le persil, 100g de farine de châtaigne, 2 CS de graines de chia, et un œuf. Façonnez des falafels à la main (une croquette = 2 petites CS de pâte), que vous placerez sur une plaque de cuisson au fur et à mesure.
 

Cuire les falafels 20 minutes au four préchauffé à 180°C.
 
Servir avec une petite sauce au yaourt, des crudités de saison et plein de petites graines !

Bon appétit ! 😊

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5 comments

  1. Oui c'est un très beau projet.

    Nous avions fait cette belle expérience il y a 3 ans déjà et mon fils m'en reparle tout les étés depuis, à chaque fois que nous passons devant un champs de blé.

    Cette année il a même fait germer des grains de blé dans le cadre de son cours de SVT (6ème).

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  2. Waou super projet ! Je suis étonnée de la simplicité de la recette de farine à la châtaigne. Ne pas enlever la 2e peau est un gros gain de temps par rapport à la confiture ! Je vais essayer !

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  3. Lisa14:56

    Merci pour cette belle idée! Moi aussi j'adore la farine. Avec les châtaignes ramassées en famille nous préparons de la crème de marrons (grand projet aussi) mais j'ai très envie d'essayer de faire de la farine maintenant.

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  4. Yvane14:57

    Notre première récolte de châtaignes est dans le four pour accompagner la soupe de ce soir. Peut-être la prochaine récolte essaierons nous la farine

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  5. Trop déçue de monc côté: le chataignier que je connais n'a rien porté cette année :-/ beau projet en tout cas !

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