Montessori à la maison : les "6 - 12 ans"

November 09, 2020

 
 
Depuis le temps que mes enfants ont 6 ans ... 😄

... je n'ai jamais consacré d'article à "la pédagogie Montessori à la maison" appliquée à leur tranche d'âge ...

Pourtant, la vie avec des enfants de plus de 6 ans n'est pas la même que celle avec des bébés, ou des petits de 3 - 6 ans, oh, c'est évident !

Mais l'idée d'écrire un article sur ce sujet ne m'a effleurée que récemment. Pour tout dire, les choses sont devenue si instinctives depuis quelques années, si simples, en quelque sorte ... Les enfants grandissent avec une certaine "stabilité", si je puis dire, et bien que les acquisitions soient aussi nombreuses et dignes d'émerveillement que lorsqu'ils étaient petits, elles sont aussi plus souterraines. Alors qu'on s'ébahissait béatement devant leurs premiers pas ou leurs premiers mots, nous vivons à présent des joies des parents plus discrètes, moins communicables - mais non moins capitales. L'enfant fait ses premiers pas de penseur, et ce sont à présent ses raisonnements, sa capacité à abstraire et à imaginer qui nous chatouille le creux du ventre ...
 
Oui, le développement intellectuel de mes enfants me bouleverse autant que leur développement moteur d'autrefois ! Leurs réflexions quotidiennes m'ouvrent une fenêtre sur leur monde intérieur et je suis prise à chaque fois d'un petit vertige ...
 

Allez, je partage quelques réflexions enfantines toute fraiches du jour, je ne peux pas résister - je me dis d'ailleurs souvent qu'il faudrait que je les note ...

Antonin, au moment du dessert, s'apprête à ajouter du sucre dan son yaourt nature :

"Tu vois Maman, là, je m'apprête à attraper la boite de sucre. J'ai l'idée dans ma tête : attraper du sucre. L'idée dans ma tête fait que je vais tendre le main. Mais on se sait jamais si je vais attraper la boite. Tant que je ne l'ai pas dans la main, je ne sais pas si je vais le faire effectivement. Quelqu'un peut sonner à la porte par exemple, entre le moment où j'ai l'idée et le moment où je fais le geste. Et alors, je vais me précipiter à la porte, et je n'aurai pas attrapé le sucre."

Ou encore :

"Les choses sont toujours moins pires que ce qu'on croit. Souvent, quand je pense à quelque chose que je dois faire le lendemain, je n'ai pas envie, ça me met de mauvaise humeur. Mais une fois que je suis en train de le faire, ça ne me gêne pas du tout. Je crois qu'il ne faut pas se tracasser à l'avance, parce que sur le moment, c'est toujours mieux que ce qu'on a imaginé."

Louiselle, entre le fromage et le dessert, et sans aucun rapport avec quoi que ce soit :

"Peut-on changer le passé ? Et si Vercingétorix, au dernier moment, avait décidé de ne pas jeter ses armes aux pieds de César, mais de s'en servir pour le tuer, comme ça, par surprise ? Qu'est-ce qui serait différent aujourd'hui ?"

Ou encore :

"Il y une chose vraiment curieuse quand on rêve. Dans mes rêves, je suis toujours MOI, mais je me vois, comme si j'étais une personne extérieure. Je me vois en entier ! Je me vois bouger ! Je vois la tête que je fais ! Alors que dans la vraie vie, je ne me vois pas, je ne peux pas : mes yeux sont sur le devant de ma tête !"

Rhôô là là, rien que de l'écrire, je suis toute chamboulée ! 😵 La capacité qu'ont les enfants d'interroger la vie ravive en moi une étincelle restée longtemps dans l'ombre, aux confins de ma propre enfance : l'expérience intime d'être reliée aux mystères du monde ...


Le présent article est une lecture personnelle des écrits de Maria Montessori. Je l'assume, et j'attends vos propres ressentis dans les commentaires ! ❤
 
 

1. Le rôle de l'imagination

 
"Le véritable signe de l'intelligence, ce n'est pas la connaissance, mais l'imagination."
Albert Einstein
 
Qu'est-ce que l'imagination, d'abord
 
L'imagination, c'est la capacité que nous avons de produire des images par la pensée. C'est une faculté capitale, car il nous est tout à fait possible d'imaginer des objets que nous n'avons jamais vu (notre planète, ou un mammouth, par exemple) ou des concepts abstraits (la Justice, le Christianisme ...). 

On lit souvent que Maria Montessori condamnait le jeu imaginatif, mais c'est un contre-sens. Elle construit au contraire toute sa théorie pédagogique sur l'imagination, qui est vue comme une sorte de socle sur lequel s'appuyer pour progresser et se développer. Imaginer des choses qui ne sont pas présentes sous nos yeux, c'est accéder à une forme de pensée élaborée. En accord avec la philosophie classique, elle fait donc de l'imagination le fondement même de l'intelligence.

"Considérons l'intelligence de l'enfant comme un champ fertile dans lequel des graines peuvent être semées, pour pousser sous la chaleur d'une imagination flamboyante. Notre objectif en tant qu'enseignant n'est donc pas que faire comprendre des notions à l'enfant, encore moins de l'obliger à mémoriser, mais de toucher son imagination pour l'enthousiasmer au plus profond de lui-même." (Maria Montessori, Éduquer le potentiel humain, "Comment utiliser l'imagination", 1948).
 
Il reste vrai que le docteur Montessori a choisi de ne pas utiliser la fantaisie (dragons, fées et compagnie) dans sa pédagogie. Pour dire vrai, elle a essayé, en début de carrière, mais la mayonnaise pédagogique n'a pas pris, ses élèves se détournant assez vite de ces chimères sans approfondir leurs potentialités. Elle raconte cette expérience dans une conférence - de mémoire, je crois qu'il s'agit de L'enfant, père de l'homme.

Voilà un héritage parfois complexe à assumer, car enfin : du temps de Maria Montessori, Superman et ses attraits n'avaient pas été inventés ! 😄

Je reçois beaucoup de message empreints de malaise de certains parents montessoriens qui se désolent que leurs enfants ne jurent que par les Pokémons ou les super-héros ... Dans ce cas-là, que faire ?

Soyons clair. L'enfant de 6 - 12 ans connait à présent la distinction entre réel et imaginaire. Contrairement à ce qu'on pense habituellement, c'est l'âge des pères Noël de toutes les couleurs, petites souris des villes ou des champs et célébrations d'Halloween ! Lesquels ne sont pas pour les "petits", susceptibles d'y adhérer au point de voir leur perception de la réalité troublée, mais bien pour les "grands", qu'ils enrichiront peut-être. Les contes ont toujours été inventés par les adultes, et s'adressent en fait ... aux adultes. En ayant cela en tête, chacun, dans sa famille particulière, interroge si telle ou telle légende s'adresse pertinemment à cet enfant particulier ou pas. 
 
(Je glisse au passage une admirable lecture de saison : Lettres du Père Noël de Tolkien, merveilleux de douceur et d'inventivité ... Mais pas avant 7 ou 8 ans, pour sûr ! 😇 )

D'où vient cette fascination qu'ont les enfants pour les héros que nous constatons tous, à différents niveaux ?

Le héros est le reflet de nous-même. Il illustre nos capacités humaines dans ce qu'elles ont de plus accomplies, notre formidable puissance et nos échecs aussi, nos limites. Lorsqu'on a entre 6 et 12 ans dans le vaste monde, on se sent parfois vulnérable. Quand on est plus grand aussi, d'ailleurs. 😏 S'identifier à une figure héroïque, c'est comprendre que les hommes ont, de tout temps, vécu des émotions similaires aux miennes, des dilemmes comme les miens, des drames comme les miens. C'est construire ce qui est juste et injuste, et apprendre à se décentrer. C'est comprendre comment nos règles sociales se sont élaborées (Peau d'âne nous explique qu'on ne se marie pas entre père et fille), et c'est explorer notre intériorité (Batman illustre que les justiciers ont, eux-aussi, une part obscure). Les héros sont cathartiques.
 
Bien sûr, les montessoriens purs préfèreront orienter l'enfant vers les biographies - histoires vraies de "héros" bien réels, scientifiques, explorateurs, médecins, artistes ... J'attire votre attention sur le fait qu'aucun homme réel n'est un "héros" sans reconstruction soigneuse de sa vie a posteriori. Un héro, qu'il ait ou non existé, ça n'existe pas. 😉 Et c'est bien pour cela qu'ils sont précieux : aucun danger pour nous, pauvres mortels, de s'identifier à des chimères. Nous ne prenons que le bon dans ce processus. 
 
Si votre enfant s'identifie à Einstein ou à mère Thérésa, bravo ! Et si (ce qui n'est pas incompatible), il se prend pour Spiderman, rassurez-vous :  c'est qu'il en a besoin ! Les héros (qu'ils soient "super" ou non) aident l'enfant à grandir. D'ailleurs, regardez : les super-héros fictifs sont souvent des êtres faibles, qui, par un hasard du destin, se retrouvent super-puissants. La symbolique est limpide ! Et que font nos héros, alors ? Ils se mettent au service de l'opprimé. Il y a pire comme leçon de morale ...

Encore une fois, c'est à chacun de "sentir" les choses en fonction des enfants. Chez nous, les super-héros ne sont pas encore connus (les Pokémon ont eu, par contre, leur heure de gloire, et j'analyse très bien pourquoi !), mais je serai la première à glisser de bons Marvel sur la table de chevet des enfants quand le moment sera venu. 😊

En attendant, haro sur la mythologie de tout poil ! Ce n'est que du faux, mais c'est vrai en même temps ; ça n'a pas eu lieu, mais cela a été inventé par les hommes pour progresser et réfléchir. Qu'elle soit grecque, nordique, médiévale, perse ou arabe, la mythologie nous nettoie de l'intérieur en nous reliant à la communauté humaine !

Puisez des héros dans votre propre famille : vous en avez ! Tante Artiste, Cousin Inventeur, Arrière-Grand-Père Soldat ... Faites revivre leurs aventures, elles le valent bien et permettront à l'enfant de construire son histoire personnelle au sein de celle de sa famille ! ❤

Revenons à Maria Montessori. L'imagination est créative, nous dit-elle. Elle n'est pas à négliger car il découlera d'elle une puissance de travail qu'il sera impossible d'endiguer.

Quelle conséquence pour sa pédagogie ? La pédagogie Montessori, c'est du concret, ma bonne dame, qui exige quelque chose qui s'incarne dans le matériel - dans l'environnement. Ce sont les "représentations symboliques" : l'enfant a besoin d'images mentales pour apprendre. Alors, des cartes de nomenclature à la frise de la vie, on illustre ! Les "cartes mentales" modernes sont très montessoriennes en ce sens !  
 
Dans la pédagogie Montessori, le catalyseur de l'apprentissage et de découverte des enfants "d'âge élémentaire" est une série d'histoires qu'on pourrait qualifier d'imaginatives. Non que les Grands Récits soient imaginaires, non. Mais ils ont pour fonction de s'adresser directement à l'imagination de l'enfant pour expliquer la naissance de l'Univers et de tout ce qui existe. C'est grâce au pouvoir de l'imagination que des concepts abstraits tels que Big Bang, nucléosynthèse stellaire, gravité, magnétisme, composition des planètes ou tectonique des plaques prennent vie ! C'est grâce à l'imagination que nous pouvons construire le réel au delà de ce que nos sens nous transmettent.

Seulement, l'imagination a aussi ses limites. Descartes le disait : je ne peux pas imaginer un polygone à 1000 côtés, je serais incapable d'en forger une image en le dessinant, par exemple ! Par contre, je peux tout à fait le concevoir, et étudier ses propriétés mathématiques. L'imagination est le socle de l'intelligence rationnelle, c'est-à-dire qu'elle sera relayée, prolongée par elle, en quelque sorte, lorsqu'elle atteindra ses limites. À l'imagination solide, conception solide, donc ! Ce qui nous amène au point suivant. 😉


2. "Je peux penser tout seul !"

 
D'explorateur sensoriel qu'il était, l'enfant est devenu explorateur intellectuel. C'est ainsi que le formule Maria Montessori, et je suis d'accord ! 6-12 ans, c'est l'âge intellectuel ! J'ai souvent remarqué que l'enfant de cet âge était plus philosophe que l'adolescent, par exemple, qui a besoin de se fondre dans la meute, ou que l'adulte lui-même, qui s'imagine trop souvent savoir définitivement ce qu'il pense (et un point c'est tout 😄).

C'est l'âge des Pourquoi, et l'enfant explore à présent le monde directement par l'esprit, sans passer par ses sens. Il aime les énigmes, et construire son savoir par lui-même. Ses centres d'intérêt se font plus lointains - exit les engins de chantier, vive les planètes et les fossiles ! L'enfant a soif de nouveauté - c'est le moment de multiplier les sorties culturelles et Nature. Antonin et Louiselle sont, depuis cette année, en forte demande de cours de sport à l'extérieur - notre petite voisine de 9 ans attend, quant à elle, son cours de musique hebdomadaire toute la semaine. Le moteur est le même : l'enfant puise de la joie dans l'inconnu et le contact avec des personnes extérieures au strict cercle famille/école. 6-12 ans, ce n'est pas un âge triste ! 😄
 
Maria Montessori disait "vouloir offrir le monde" à son fils ... Quelle belle formule, qui me rappelle le "banquet d'idées" que propose Charlotte Mason à ses élèves. 

Voilà : à table ! Banquet d'idées ! Bon appétit à tous ! 
 
(J'adore cette image !)
 
Concrètement, pour nous parents, cela signifie : 
 
1. Faire confiance à l'enfant. Lui seul sait ce qui l'intéresse, et il sait gérer sa fatigue pour mener ses tâches à bien. Pendant les vacances, Antonin et Louiselle ont passé deux jours entiers à travailler sur des "exposés" libres. Antonin avait choisi de travailler sur le général de Gaulle, et Louiselle, sur les chiens. Ils ont passé tellement d'heures sur leurs projets que je ne craignais que leur cerveau n'explose ! Mais pas du tout. Et quand ce "jeu" a été achevé, ils en ont trouvé un autre : jouer à l'école à la maison. Mais sérieusement, hein. Antonin était le professeur, il a fourni un cahier neuf à sa sœur et l'a initié au secret des fractions ("Elle s'en sort bien, Maman, tu sais !"). Au programme : recherches dans le dictionnaire, dictées, et multiplications. Quelques récrés, aussi, et du dessin. Une fois de plus, j'ai crains que cela ne soit trop "lourd", en particulier pour la Damoiselle, mais c'est elle qui revenait vers son frère pour lui réclamer du travail dès qu'il la lâchait cinq minutes ...

Après cette semaine d'ébullition intellectuelle, ils sont retournés à leurs parties de Playmobil ... Quel équilibre dans l'emploi du temps !

On m'a posé récemment la question suivante : "Vaut-il mieux travailler sur un thème donné sur une longue période, ou proposer des activités diverses comme elles viennent, sans nécessairement réfléchir à un fil conducteur entre elles ?" La réponse est : peu importe ! Si votre enfant se passionne sur un sujet qu'il souhaite approfondir sur plusieurs jours, super ! S'il préfère papillonner d'un objet à l'autre, c'est très bien aussi, car : des liens entre les choses, il en fera. De toute façon. C'est dans son essence d'être humain, et ça tombe bien, car tout est lié en ce bas monde !

De même, il n'y a pas de "mauvais" sujet d'étude. Mon petit frère s'est ainsi passionné très jeune pour les jeux vidéos, au grand dam de notre Maman, qui diabolisait la chose. Mais il était mordu à tel point qu'il décida très vite de n'acquérir que des jeux dans leur version originale - la plupart d’entre eux en japonais. Voilà donc notre petit qui, dès 7 ans, tente de décrypter tout seul les textes en hiraganas, je le revois encore !! À 18 ans, il avait acquis un bon niveau de japonais, qu'il consolida lors de multiples séjours au pays du soleil-levant (c'est d'ailleurs là-bas qu'il rencontra celle qui devint sa femme !). Il se mit à enchainer les tests JLPT et enseigna le japonais à l'Université de Genève. Il est aujourd'hui papa de deux petites filles parfaitement bilingues.

Je vous laisse tirer les conclusions de cette belle histoire ! 😄

2. Dans cette perspective, l'adulte a surtout un rôle de "facilitateur". D'abord, il fournit le matériel. Les exposés dont je parlais plus haut n'auraient pas vu le jour si je n'avais pas fait, en amont, le plein de papier-affiche, à la demande des enfants d'ailleurs. De même, il fallut réserver des ouvrages consacrés à la bibliothèque et encadrer les recherches Internet. Oui, le travail de l'enfant, c'est du travail pour l'adulte, je ne le nie pas ! L'enfant aime faire seul, mais a besoin encore d'une présence attentive. Il a besoin d'être observé, parfois guidé, il est avide de conseils et de retours sur son travail. L'adulte devra, ponctuellement, "détricoter" une difficulté rencontrée pour la rendre accessible. Il est clair qu'un parent montessorien est fortement sollicité, malgré l'autonomie de son enfant ! (Désolée si ce n'est pas une bonne nouvelle ... 😁)

Un écueil que j'aime à signaler - et à me remémorer quotidiennement, car je suis bavarde ! 😄 L'adulte médiateur tente, dans la mesure du possible, de ne pas submerger l'enfant sous ses explications. Charlotte Mason rapporte cette très jolie répartie d'une fillette qui s'exclama un jour : "Maman, je crois que je pourrais comprendre si tu ne m'expliquais pas autant !" ❤ Donner des billes, oui, noyer l'enfant sous un discours encyclopédique, non ! Une fois de plus, c'est l'enfant qui tisse les liens entre ses savoirs, c'est ainsi qu'il forge sa culture et sa personnalité - et nous ne pouvons le faire à sa place.
 

3. Un climat de paix

 
Maria Montessori travaille sans relâche pour la paix mondiale et sera nominée trois fois pour le Prix Nobel de la Paix. Cette obsession est très présente dans ses théories éducatives, et elle est aujourd'hui d'une actualité mordante !

La paix commence avec le "vivre ensemble". Entre 6 et 12 ans, l'enfant s'ouvre littéralement aux autres. Depuis quelques mois, je suis toute surprise de constater qu'Antonin, qui observait jusqu'à présent avec beaucoup de retenue, et restait en apparence très effacé dans les interactions, se jette avec plaisir et pertinence dans les discussions qui passent à sa portée. Je discute avec une voisine ? Hop, voilà mon Damoiseau, tout sourire, qui vient mettre son grain de sel. C'est tellement nouveau pour moi, et si beau à voir ! ❤

C'est l'âge où l'enfant construit les codes, et les met en œuvre : on n'utilise pas le même registre de langue en fonction de son interlocuteur, par exemple. On s'applique à rester dans un sujet donné, on écoute l'autre et on lui répond. On s'affirme du même coup, car discuter ensemble, c'est se poser en tant que personne différente de son interlocuteur, avec des réactions, des goûts et des anecdotes qui nous sont propres.

Le monde se nuance, il n'est plus tout noir ou tout blanc. C'est le début de l'âge critique ; l'enfant commence, avec l'étayage de sa famille, à analyser certains faits politiques, historiques et sociaux, et à comprendre qu'il n'y a pas de "gentils" et de "méchants", mais une nécessité de compromis, de dialogue. L'enfant découvre là un véritable système complexe, avec lequel il joue, et qu'il "incarne" dans ses propres positions. Ce système, c'est à lui, en tant qu'homme, de le faire vivre, et il le ressent déjà confusément.
 
Lorsque je me demande quel rôle je peux jouer en tant que maman montessorienne pour éduquer à la paix, j'en reviens toujours à ce qu'on appelle aujourd'hui "la parentalité consciente". Je crois que tous les jalons sont là : l'absence de punition, l'accueil des émotions naturelles, le respect des besoins fondamentaux, l'importance de la communication ... Enfin, vous connaissez tout cela aussi bien que moi ! 😄 Je suis de ceux qui pensent qu'une parentalité bienveillante éradiquerait la violence du monde en une génération - oui ! 🙏

Encore une petite citation - décidément, vous allez avoir droit à tous mes mantras dans cet article ! 😄 "L'enfant est joie." (Catherine Gueguen, Vivre heureux avec son enfant). À cette phrase, j'ajoute toujours pour moi-même : "Et si le lieu est joyeux, l'enfant est joyeux."

Un climat de paix, c'est un climat serein, et en famille, on laisse les soucis du monde à la porte. On filtre les informations, qu'on distille en fonction de l'âge de l'enfant, de ses intérêts et de son degré de compréhension. En lieu et place du rabâchage médiatique, on met en œuvre quelques discussions fertiles, certes, mais surtout de la vie : de l'humour, de la légèreté et du mouvement. Songeons à nos anciens. Ils ont connu la guerre et la faim, mais ils me disent que même alors, ils riaient tous les jours. Je pense pour ma part que ça là le secret pour surmonter d'aussi insoutenables épreuves ...

Éduquer l'enfant à la paix, en fait, c'est l'éduquer à la paix intérieure : s'il sait nommer ses émotions et identifier ses besoins, il sait qui il est. S'il sait qui il est, il saura identifier les besoins et les émotions des autres sans se sentir menacé dans son intégrité. ❤
 

4. De l'autonomie

 
Ah, la quête de l'autonomie, c'est la pierre angulaire de la pédagogie Montessori, n'est-ce pas ? Et entre 6 et 12 ans, cette quête se poursuit, mais sur un autre plan ...
 
Les années passent, et l'enfant est à présent (presque) autonome physiquement : il sait se laver, concocter quelques plats de base, faire de petites courses ou effectuer un trajet seul ... Ces acquisitions motrices étant faites, il se consacre à présent à développer son autonomie intellectuelle.
 
La première constatation, dans ce processus, c'est que l'enfant n'est jamais un "mini-moi" ; nous voyons se dessiner un individu séparé de nous. Il y a fort à parier que notre enfant, une fois adulte, ne fera rien comme nous. Il choisira un autre métier, un autre lieu de vie, il aura sa propre orientation sexuelle ou politique ... Ses expériences présentes, celles qu'il vit entre 6 et 12 ans, lui appartiennent et consistent la base de son épanouissement ultérieur.
 
Le monde de l'enfant n'est pas le nôtre. Je ris quand je vois Antonin saluer ses copains de classe - le virus est passé par là, et ils ont inventé tout un tas de signes pour communiquer avec le corps, mais sans contact. Quel charabia, pour moi ! 😄 Les petits CM2 ont développé un langage, des références et un humour qui leur sont propres. Ils forment une communauté, et en tirent bien du plaisir. Ce n'est que le début !
 
L'autonomie intellectuelle se construit aussi à travers des gestes pratiques : continuons à doter nos enfants d'outils ! Utiliser un index, chercher une information dans un dictionnaire, un Atlas ou une encyclopédie, faire une recherche Internet, réserver des livres sur le site de médiathèque, sont autant de compétences concrètes, qui se construisent au quotidien, dans la répétition. L'autonomie de pensée s'appuie sur des gestes concrets, oui ! Chercher soi-même la réponse à ses questions nécessite une méthodologie. À partir de 9/10 ans, ces recherches sont aussi l'occasion de faire la chasse aux informations douteuses, compétence capitale dans le monde médiatique d'aujourd'hui (et d'hier !).
 
Quid de la Vie pratique ? Alors que le bambin nous assistait avec enthousiasme (et maladresse ...) dans nos tâches ménagères, force est de constater un phénomène étrange : l'intérêt de l'enfant pour les travaux domestiques semble diminuer de manière inversement proportionnelle à la maitrise développée ... 😏 L'enfant a désormais les bras assez longs et musclés pour faire son lit en autonomie : tirer le drap, secouer la couette, border le tout ... Le fait-il ? Point du tout (ou alors en ronchonnant), vous l'avez certainement constaté ... 😄

Pour enrôler un enfant de cet âge dans les taches ménagères, surfons sur l'esprit de groupe ! Ne le laissons pas seul face à une liste de corvées à effectuer, mais planifions par exemple une heure hebdomadaire où toute la famille "s'y met". Plus on est de fou, plus on rit ! Insistons sur l'agrément que nous partagerons, après le labeur, d'avoir une maison propre et rangée, et mettons la musique à fond, ça aide ! L'enfant peut choisir la play-list, d'ailleurs, cela devrait le motiver ...

La deuxième astuce consiste à mettre la barre assez haut : bon, plier du linge ou vider le lave-vaisselle n'a plus rien d'enthousiasmant à 8 ans (ni à 40, d'ailleurs). Mais laver la voiture à grande eau, poncer la table de la cuisine ou arracher le papier peint, c'est autre chose, c'est du sérieux ! Confions à nos enfants des tâches exigeantes, elles sont beaucoup plus intéressantes pour eux !

Enfin, le planning de tâches ménagères peut être élaboré en famille : l'enfant aime résoudre des problèmes, et puisera dans ses ressources pour répartir les travaux avec équité. On accepte mieux les travaux que l'on s'est choisi !

 

5. Et le programme ?


"Dans une classe Montessori, l'enfant ne fait pas ce qu'il veut. 
Il veut ce qu'il fait."

 

Source de l'image

Un mot sur l'enseignement strictement "scolaire" Montessori qui donne, je trouve, un bel éclairage sur ce que nous vivons dans nos maisons ...
 
1. Une éducation cosmique
 
Dans la pédagogie Montessori, "enseignement élémentaire"  et "éducation cosmique" sont de parfaits synonymes. Tout l'enseignement, de 6 à 12 ans, s'articule autour des Grands récits. On commence par se pencher sur la naissance de l'Univers, de notre planète et l'apparition de la vie. C'est la porte ouverte à l'astronomie, la météorologie, la chimie, la physique, la géologie et la géographie. Vous voyez l'idée : les sciences "naissent" d'elle même les une des autres, au fur et à mesure que les grandes leçons sont présentées. Non seulement cette approche est d'une rigueur scientifique assez irréprochable, mais elle privilégie notre chère interdisciplinarité - le fait que tous les savoirs sont liés, et non séparés en "matières scolaires".
 
2. L'environnement matériel : 
 
Le matériel  est toujours nodal en classe 6 - 12, et continue d'être pensé comme représentation concrète de concepts abstraits. Mais il n'est utilisé que comme un tremplin vers l'abstraction totale. Les difficultés continuent d'être isolées ; la progression, soigneusement réfléchie. L'enfant est guidé au pas à pas vers l'abstraction, bien qu'il s'agisse, finalement, d'une victoire individuelle, que chacun mène à son rythme et par un chemin qui lui est propre.

3. L'environnement culturel : 
 
La capacité à symboliser, sous une forme abstraite, des objets, des idées, des émotions et des évènements est au cœur des apprentissages à cet âge. L'exploration de la grande aventure humaine ne peut se contenter de supports matériels mais s'incarne, dans un environnement montessorien, dans ce qu'on pourrait appeler l'environnement culturel. Les idées sont replacées dans leur contexte, la littérature, la poésie et l'art en général y occupent une grande place, les règles de vie communes  sont soigneusement élaborée ensemble et discutées.

4. Les disciplines enseignées : 
 
Âge intellectuel oblige, le programme Montessori en élémentaire se fait plus académique : mathématiques, géométrie, langage, géographie, biologie, histoire, arts, musique ... Voici un document (en anglais) de la South African Montessori Association, qui présente en détail les objectifs dans chaque discipline. Une attention particulière est portée à l'interdisciplinarité, les objets du savoir n'étant pas présentés isolément les uns des autres, mais de manière à permettre à l'enfant de créer des liens.

Si vous voulez en savoir plus sur les "leçons" Montessori, le site Wikisori (en anglais) est une mine !
 
5. Les sorties-recherches

Le monde n'entre pas dans une classe de classe ... ! C'est à l'extérieur de l'école, dans la vie sociale elle-même, que l'enfant peut être amené à chercher une information ou prolonger une recherche. Il est donc encouragé à organiser lui-même ses sorties (finance, transport, réservations ...), qu'il peut être amené à mener seul ou en petit groupe, selon la nature du projet.
 

❤❤
 
Reconnaissez-vous votre "grand" enfant dans le portrait que brosse Maria Montessori ? 

Moi, oui ! 😊

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10 comments

  1. mapie2222:50

    Que j'aime lire vos articles... J'y apprends toujours quelque chose. J'y pioche toujours quelque chose. Ils m'aident toujours à réfléchir à mon rôle de maman...
    Ils me font toujours du bien. Merci.

    ReplyDelete
    Replies
    1. Oh merci, Mapie, pour cet adorable message !! <3

      Delete
  2. Christine17:21

    Super article, ma grande est à la charnière entre ges deux tranches d'âge, et ca m'ouvre plein d'horizons qui avaient commencé à se manifester !

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  3. Laurence17:22

    merci pour ce magnifique article, je vais avoir besoin d'un peu de temps pour le "digérer"... et le relire...

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  4. Du vent dans les roseaux17:23

    Quel article complet et instructif ! Je reconnais bien mon enfant ,et je vais prendre le temps de relire l'article encore et encore au besoin. Merci pour ce travail et ce partage qui permet de mieux comprendre et accompagner nos enfants .

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  5. Emilie17:23

    Tu sais quoi Elsa? je vais imprimer ton article tant il est riche et si bien fait. Moi ce sont des parents comme toi ou @lesoiseauxlibres qui me guident et me révèlent des chemins à explorer. Merci du fond du coeur!
    J'ai quand même une question: est-ce que tu connais de la littérature, des ressources pour l'enseignement niveau lycée ? je suis nouvellement prof de biologie (SVT en France) et mon école s'est lancée en pédagogie active mais - misère!- quel vaste chantier ! Je trouve que l'adolescence est une période complexe, j'ai l'impression que les élèves sont "fragiles", moins audacieux que les plus jeunes. Qui plus est, on attend beaucoup d'eux, on les critique vite du point de vue de leur autonomie, leurs intérêts etc (moi aussi, je ne jette de pierre à personne). C'est finalement très difficile pour moi ^ ^

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    Replies
    1. Merci pour ce chaleureux retour, il me fait beaucoup de bien !! Oui, dur, dur de travailler avec des ados, c'est une belle remise en question ... Bon courage, ils ont bien de la chance de t'avoir dans leur environnement ! <3

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  6. iamamaiden08:17

    Bonjour,

    Merci pour cet article passionnant ! Suivant votre blog depuis 2 ans, je n'ai jamais pris le temps de poster de commentaires et je me demande pourquoi.

    Je suis maman d'un petit garçon de 4 ans et cela me donne à voir comment il se développera dans un futur proche.
    Je voulais avoir votre avis sur une question qui me taraude depuis quelques mois. Pensez-vous que certains enfants (comme des enfants à haut potentiel par exemple) peuvent être "en avance" sur ce stade 6-12 ans ? Et même se manifester en même temps que celui des 3-6 ans ? C'est une élocution un peu réductrice, mais je ne sais pas vraiment comment la formuler...

    Mon fils est pleinement dans les explorations motrices et sensorielles, mais ses centres d'intérêts comme l'espace, le temps sous toutes ses formes ou encore les panneaux de signalisation me questionnent beaucoup. Les "pourquoi" à plusieurs moments de la journée et cette quête de sens toujours insatiable en rajoutent.

    Je le revois encore me demander : " Maman, c'est quand la fin du monde ? Maman, on va où après qu'on est mourru?".

    Il semble se satisfaire d'explications simples, mais le fait qu'il saisisse rapidement le côté abstrait des choses et son imagination débordante commence à le mener plus loin.

    J'espère avoir été à peu près clair, tout ça est un peu confus.

    Iamamaiden

    ReplyDelete
    Replies
    1. Bonjour Iamamaiden !
      Oui, certains enfants ont une capacité d'abstraction très musclée, qui peut se manifester très tôt !
      On observe bien un "changement" chez l'enfant autour de 6 ans, mais évidemment, il y a une grande variabilité, cela ne se fait pas d'un seul coup, le jour de son anniversaire ! :-D Bien des caractéristiques de la "grande enfance" sont présentes dès la "petite enfance", plus ou moins selon les enfants.
      Bravo en tout cas : tu observes ton enfant, et c'est bien ce qui compte, car il est unique !!

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