On en parle, on en parle, mais... apprendre, c'est quoi ?
Depuis le début du XXe siècle, et bien avant l'émergence des pédagogies dites "actives", un sujet est dit "apprenant" quand il prélève une information dans son environnement en fonction d'un projet personnel.
Pour moi, ça a toujours été une évidence, dès que j'ai mis le pied dans le métier : apprendre, c'est s'engager. Apprendre, c'est traiter efficacement les ressources qui sont à notre disposition - pour peu qu'il y en ait.
La pédagogie dite "de projet" me fait de l'oeil depuis bien longtemps, et je me suis acharnée, tout le temps de mon poste définitif, à "mettre en projet" ma classe de CE1/CE2... avec un succès mitigé, je dois dire. Principalement parce que lorsque je demandais aux enfants de me parler de ce qui leur plaisait, j'avais généralement droit à une œillade indifférente, un haussement d'épaule assaisonné d'un vague : "Ben, ch'sais pô moi...". Vous n'imaginez pas comme la majorité des enfants de 8 ans peuvent être désabusés, dans notre monde. Et les autres... ah, bien oui : il y avait toujours deux ou trois petits malins, vifs et d'emblée captivés par ma proposition de "faire ce qu'ils voulaient", et qui me fournissaient avec enthousiasme des sujets d'étude à la pelle... Mais alors quoi ? Fallait-il obliger chaque enfant à développer un projet personnel, quitte à m'épuiser, moi, pour tenter de tout gérer - y compris l'angoisse profonde que cette "liberté" engendrait chez certains ? Ou imposer un projet collectif, qui passionne une poignée d'enfants et laisse les autres indifférents ? Qui, oui, oui !, acceptaient volontier de travailler sur quoi que ce soit, du moment que j'arrête de leur demander leur avis... Je vous renvoie à la définition des premières lignes de cet article. Nos projets furent magnifiques... sur le papier, et je sais que certains élèves en auront gardé un souvenir impérissable. Mais pour les autres, tout cela est tombé aux oubliettes - avec le reste. Et pour moi, c'est raté. À revoir. :-/
Cela fait longtemps que je guette le moment où je pourrais rebondir sur un projet forgé par mes enfants. Le bambin est tout entier dans la procédure et n'agit pas en vue d'un produit fini. Antonin, tout doucement, commence à se donner des petits objectifs. Sa pensée devient créative, le futur prend sens pour lui. La résolution de problèmes est encore difficile ; à trois ans et demi, il a tendance à être submergé par l'obstacle rencontré, et éprouve de réelles difficultés à se mettre en recherche de solutions. C'est sur ce point que l'altérité nous a manqué : en groupe (et ici, un groupe de 4 ou 5 enfants aurait largement suffi), l'affect collectif équilibre généralement les émotions individuelles. Le fait de voir un tiers se mettre en recherche et émettre des hypothèses a un effet formateur irrésistible. L'Autre fait grandir, j'en suis sûre, et dans le modeste "projet" que je vous livre aujourd'hui, j'ai été obligée de tenir ce rôle - évidemment très maladroitement car je ne sais plus comment penser en enfant de 3/4 ans (mais j'y travaille dur !).
D'autant que j'endossais aussi une autre casquette : celle de l'aide matérielle, qui va essayer d'inventorier et de mettre à disposition les ressources nécessaires...
Bon, je vous livre aujourd'hui le projet d'Antonin tel qu'il fut mené... Je ne suis pas satisfaite de ma part de travail, décidement ! Mais ce n'est qu'un premier pas, et je compte bien m'améliorer... Je suis apprenante, moi aussi, et apprendre prend du temps ! ;-)
L'idée de base :
L'idée de base vient évidemment d'Antonin. Depuis quelques temps, il exprime un désir récurrent : celui de construire "une cabane pour tous les enfants". Je me suis évertuée à mettre à sa disposition des outils le lui permettant.
Tout d'abord, des énormes cubes de bois permettant des constructions monumentales, mais qui, s'ils attisèrent considérablement l'intérêt du Damoiseau pour les cubes et enrichirent ses productions (routes, ponts...), ne lui permirent pas de construire des murs... Je compris alors que le Damoiseau n'était pas prêt, tout simplement, et que construire était une compétence complexe, nécessitant du temps.
Je fournis ensuite des briques de carton, plus légères et plus volumineuses pour voir si ce nouveau matériel induisait de nouvelle procédures. Dès qu'il les vit, Antonin ne se sentit plus de joie, et s'exclama : "C'est pour faire une cabane pour tous les enfants". Bingo. Et il se mit au travail, en élaborant, effectivement, de nouvelles techniques :
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"Cabanes" |
Je compris alors qu'Antonin ne percevait pas la notion de concavité, d'intériorité... Ce dont il eut l'intuition, lui-aussi, puisqu'il se mit à me réclamer "de grands cubes ouverts"... pour faire des portes. À vrai dire, ce n'était pas la première fois qu'il me réclamait ce type de matériaux, mais c'est seulement à ce moment que je compris ce qu'il voulait dire. Et ce qui est drôle, c'est qu'Antonin construit des ponts à tout de champ en ce moment, mais n'a pas encore eu l'idée de transfèrer cette compétence dans le domaine des ouvertures de tous poils ! ;-)
Je décidais donc de dégoter LE matériau ultime - celui qui permettrait au Damoiseau d'aller au bout de son projet avec ses compétences du moment.
Jour 1 :
Tadam ! |
J'ai trouvé un carton. Un grand carton. Ce n'est pas le carton de mes rêves - quelqu'un peut-il me dire pourquoi les machines à laver ne sont plus emballées dans de bons vieux GROS cartons ??? Celui-ci est un peu étroit, il a vécu quatre déménagements et pas mal de kilomètres. Mais franchement, merci, merci, mon ami L., si tu me lis ! :-)
Je le place au milieu de la chambre d'Antonin, qui détecte immédiatement l'usage qu'il peut en faire... Et décide que cette cabane sera un carton couché. ;-)
S'ensuit un tâtonnement autour de la création de portes - finalement, les battants du carton font l'affaire, il est inutile d'essayer d'en construire. Mais les fenêtres ? Ah, il faut des fenêtres ! Je m'arme d'un cutter, et Antonin décide de leur position, de leur taille et de leur forme (une "en carré" et une "en triangle"...).
Très vite, l'excitation monte et le Damoiseau s'agace : de l'intérieur, il ne parvient pas à rabattre le volet de carton (il a tenu à ce que nous gardions des "volets") sans se pincer les doigts. Malgrè tous mes efforts didactiques, c'est moi qui apportera la solution des poignées...
Une vis coincée entre deux écrous... |
Cette première journée s'achève dans l'apothéose, les enfants sont ravis de leur cabane et Antonin décide d'y placer sa veilleuse...
Jour 2 et 3 :
Je propose à Antonin d'aller dans l'atelier choisir les médium de son choix pour décorer sa cabane. Il fonce comme un bolide et revient avec de gros feutres, des gommettes et quelques tampons...
Le lendemain est un samedi, et, dès le réveil, il me demande d'aller à nouveau chercher le matériel pour poursuivre son oeuvre... Et je pars à mon cours de méditation sur l'image de mon Damoiseau-créateur, absorbé, seul dans sa chambre à 9h00 du matin, par la très sérieuse décoration extérieure de sa cabane "pour tous les enfants"...
(Si, si, ça m'a déconcentrée toute la matinée, mais ma prof est une adepte de la visualisation, alors c'était une belle image à travailler !) :-)
Jour 4 :
L'endroit révé pour donner son biberon à Doudou-chien ! |
Bon, que manque-t-il à présent ?
Un banc, bien sûr. 😉
(dixit Antonin, toujours).
Le Damoiseau commence par placer un gros cube de carton dans la cabane : aïe, il ne peut se tenir droit, sa nuque est brisée contre le plafond. Il a beau être ravi de son invention, il doit admettre au bout d'un moment que quelque chose ne va pas.
Il décide (avec mon étayage) de déplacer son meuble à l'extérieur. Ça va mieux. Mais voilà que Louiselle veut s'asseoir, elle aussi, et il n'y a qu'une place... Donc ? Oui, c'est cela, Antonin place deux cubes côte à côte.
Les deux enfants s'installent ravis, et prennent les mêmes poses que ces vieux sages de la côte d'Azur rivés sur leurs bancs, et qui regardent passer les touristes en mâchant leur chique et un brin d'hostilité. Les mêmes. À ma connaissance, rien de génétique, cela doit être culturel, comme attitude... 😊
Mais Antonin s'écrie : "Aïe, ça se casse !". Il semblerait que la brique s'affaisse. Ou peut-être pas. En théorie, elle est faite pour résister, mais le Damoiseau décide de doubler l'épaisseur du banc pour être sûr. Va, mon garçon, puisqu'il s'agit de résolution de problème !
😊
Et depuis ce temps, les enfants profitent de leur cabane... qui ne fera peut-être pas long feu, mais qui, d'ici là, plait beaucoup... 😊
Tout travail mérite salaire, place au jeu ! 😊