Ecrire sur la bienveillance ?

July 22, 2016

"Les enfants, vous voulez que je vous raconte mon histoire de quand j'étais petite ?
- OUIIIII !"

Attention, ce n'est pas UNE histoire "de quand j'étais petite" : ce n'est pas une de ces anecdotes qui me reviennent parfois et dont le récit fascinent mes enfants.

Non. C'est MON histoire. Telle qu'on pourrait la résumer en quelques mots - qu'Antonin et Louiselle connaissent d'ailleurs par cœur. Je commence :

"Alors, quand j'étais petite, j'étais très très sage. Tout le monde disait : "Oh, quelle gentille petite fille, qu'est-ce qu'elle est sage !". Les gens me tapotaient la tête en me disant : "C'est très bien d'être sage, continue comme cela."

J'étais fière puisque tout le monde trouvait ça bien : je ne pleurais pas souvent, je disais "Oui, oui" à tout ce qu'on me proposait. Quand même, des fois, j'avais une émotion ou deux qui essayaient de sortir. Alors, les adultes disaient : "Oh, mais tu fais un caprice !! C'est très mal, les caprices, c'est une horreur. Une petite fille sage comme toi, quel dommage !"

Alors, pour que être sûre que les gens m'aiment toujours, je devenais de plus en plus sage.

Le problème, c'est que quand les émotions ne sortent pas, elles s'entassent à l'intérieur. On en a de plus en plus, là et là, partout : de la colère, de la tristesse, et ça gonfle, ça gonfle...".

A ce stade du récit, je mime quelqu'un qui enfle : mes joues se bombent, mes mains miment une aura malsaine autour de mon corps qui grossit, grossit...

"Et PAF !, s'exclame Louiselle. On éclate !"

"Oui, on éclate. A l'adolescence, j'ai éclaté."

 "Tu as dû beaucoup, beaucoup pleurer, alors", dit Antonin, qui sait de quoi il parle.

"Oh, oui, et j'ai beaucoup, beaucoup crié aussi. J'ai essayé de faire sortir. Personne n'y comprenait rien. Les gens disaient : "Où est passée la petite fille si sage ?"

Le problème, c'est que je me suis aperçue à ce moment-là que je ne sentais plus grand chose. Ma tristesse et ma colère était en moi depuis trop longtemps. J'avais appris à ne pas les sentir, et du coup, je ne savais plus sentir les autres émotions non plus, celles qui font du bien : la joie ou l'amour, par exemple.

Mais aujourd'hui, je m'occupe de mes émotions. J'ai fini par comprendre que  toute cette colère et toute cette tristesse venaient surtout de ce que mon père m'avait abandonnée. Ça, je le sais, mais je n'ai pas encore réussi à sortir tout le mal que ça me fait à l'intérieur. C'est de mieux en mieux mais il reste toujours, dans les petits coins, de vieilles émotions qui ne veulent pas sortir...

Souvent, elles ressortent à des moments très bêtes : quand je dois faire du ménage et que je n'ai pas envie, par exemple. Alors, à ce moment-là, vous vous mettez à courir en criant, et je me fâche très fort. En réalité, ce n'est pas parce que vous courrez que je me fâche. Ce n'est pas non plus à cause du travail que j'ai à faire. C'est juste une vielle émotion qui essaie de sortir... et qui n'y arrive pas comme il faut !

En tous cas, ces émotions-là, ce sont les miennes, pas les vôtres. Je m'en occupe. C'est du travail, ça va me prendre du temps, mais je m'en occupe. 
Vous, vous avez vos émotions à vous. Vous vous en occupez. Et je trouve, moi, que c'est très important de les faire sortir, tous les jours, pour ne pas qu'elles s'entassent."

***


On me reproche souvent par ici de ne pas écrire sur l'éducation bienveillante. Cela m'interroge autant que cela m'amuse, car pour moi, j'ai l'impression de ne faire que cela ! 😄

Qu'est-ce qu'écrire sur la bienveillance ? 

Écrire sur la bienveillance, ce n'est pas... peaufiner de beaux tableaux bien lisibles, bourrés de conseils décontextualisés, qui feront un tabac sur Pinterest, du genre : "10 encouragements à prodiguer à mon enfant" ou "15 idées pour se reconnecter après l'école" ? Je suis comme tout le monde, j'adore ce type d'articles, mais sérieusement, vous me voyez dire à mon fils :

"Attends, attends, tu vas te mettre en colère, laisse-moi retrouver la liste des "10 réactions à avoir face aux colères de votre enfant", et ne commence pas sans moi !" ? 😄

Écrire sur la bienveillance, ce n'est pas... s'ébahir de ce que les parents "non initiés" font de travers. Mais pourquoi croyez-vous que ma voisine n'est pas bienveillante ? Parce qu'elle a envie de faire du mal à ses enfants, de les élever de la pire manière qui soit ? Tenez, c'est cela, lorsqu'elle est tombé enceinte, elle s'est dit : "Cet enfant, je vais le frapper et l'humilier, je vais m'amuser comme une folle...". Allons. L'unique barrage à la bienveillance, nous le connaissons tous, c'est nous-mêmes. Cette femme a été battue, insultée dans son enfance, et le spectacle de son propre enfant, qu'elle aime pourtant plus que tout au monde, lui est en réalité insupportable. Son fils la renvoie à ses propres besoins d'enfants qui n'ont jamais été pris en compte, à sa vulnérabilité, dont son entourage adulte a abusé... Et que fait-elle ? Elle fait ce qu'on lui a fait pour ne plus voir ce qui la fait tellement souffrir, car en réalité elle est littéralement menacée dans son intégrité par cette souffrance. Et elle hurle, et tape. Qui oserait lui lancer la première pierre ! Certainement pas un parent bienveillant, n'est-ce pas ? Car la bienveillance ne s'adresse pas qu'aux enfants, mais aussi aux adultes qu'ils deviennent...

Bon, je ne vois qu'une voie possible : écrire sur la bienveillance, c'est se pencher sur son histoire propre, comprendre ce qui dérape quand on n'est pas le parent qu'on voudrait être, le formuler et se pardonner. 

Écrire sur la bienveillance, c'est écrire sur soi, et voilà sans doute pourquoi je ne sautais pas le pas. 

Bon, en même temps, maintenant c'est fait. 😉

Mais je doute, du coup, que cela réponde à vos attentes... ! 😄

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